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L'Inquisition... telle que le XIXè siècle l'imagine
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L'Inquisition, première partie

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publié le
16/9/2021
6
min de lecture
Portrait de Romain

Romain Leduc

guide-conférencier, chasseur d'idées reçues

C’est toujours un grand moment de cinéma de les voir débarquer. La musique change, il fait nuit, et voilà qu’émerge une colonne de capuches noires rabattues sur des visages antipathiques à peine illuminés de torches dont on sait très bien qu’à un moment ou à un autre, elles serviront à allumer un bûcher ou du moins à brûler des plantes de pieds. Accompagnés du grincement de leur roulotte affreuse contenant des instruments de torture plus tordus les uns que les autres, ils viennent systématiquement péter l’ambiance dans Le Nom de la Rose, Black Death, Les Rois Maudits, et même les Visiteurs 2. Incontournable figure médiévale dans notre iconographie contemporaine, incarnation de tout ce que cette époque porte de violence de fanatisme, vous l’attendiez, la voici, c’est l’Inquisition.

Parler du Moyen-Âge nécessite toujours de débunker des clichés assez tenaces. C’est sûrement une des raisons de mon amour pour cette période.  Mais en ce qui concerne l’Inquisition, le terme s’est chargé d’un tel imaginaire négatif qu’il est devenu un archétype, tant dans le langage commun que chez les intellectuels (référence aux grosses approximations historiques d’Onfray) ou dans la création artistique (voir Warhammer). Pourtant, saisir la véritable nature de l’Inquisition médiévale, c’est-à-dire l’Inquisition originelle, est un parfait moyen de comprendre la subtilité des mentalités et des structures sociales de l’époque.

Laissez-moi donc vous conter la véritable histoire de l’Inquisition. Échauffez-vous, armez-vous, harnachez-vous, les idées reçues du coin ont la peau dure et ne le laisseront pas dégager facilement.

Pour commencer, on va tout de suite dégager celle qui est en très grande partie responsable de cette réputation affreuse, mais que je ne traiterai pas dans cet article car elle n’est tout simplement pas médiévale mais tout à fait moderne – elle est active du XVe au XIXe siècle - c’est l'Inquisition Espagnole. Exit donc les robes rouges des Fantômes de Goya, de (l’incroyable) Les Diables de Russel, ou de La Folle Histoire du Monde – dommage, la chorégraphie de Mel Brooks était folle – exit la traque des juifs et des sorcières, exit le zèle morbide de Torquemada et la torture à grande échelle. Cette institution, plus ou moins inspirée de l’Inquisition médiévale et fondée durant la Renaissance, est fondamentalement différente de ce dont allons parler aujourd’hui, et vous le verrez dans la seconde partie.  


L'Inquisition médiévale est créée par une bulle papale – une sorte de décret du Vatican – en 1233. Mais que signifie cette date ? Quel est le contexte religieux du XIIIe siècle qui a nécessité pareille mesure ?


Plaçons nous d’un point de vue parisien. Durant ce siècle, on bâtit la Sainte-Chapelle, Notre-Dame de Paris, et l’on fonde en 1215 l’Université de Paris, dédiée à la formation des élites lettrées – qui sont instruites par des clercs dans le but d’être des clercs, grossièrement. L’Église Catholique est en excellente santé et la vie intellectuelle du Royaume de France est bouillonnante. Voilà d’ailleurs une première idée reçue à déboulonner : à Paris, notamment à l’Université, on discute beaucoup, on débat, on se dispute parfois violemment sur certaines modalités du dogme chrétien, et aucune autorité ne vient verrouiller les échanges comme les totalitarismes de notre siècle ont pu le faire. Il n’y a pas un pouvoir censeur central en mesure d’espionner et de réprimer de manière globale.

Après, ne me faites pas dire ce que je n’ai pas dit : je vous déconseille de vous déclarer athée en plein cours de la Sorbonne au XIIIè siècle. Les bûchers sont rares, voir très rares, mais ils existent - nous en parlerons plus tard. A vrai dire, dans ce monde où la religion n’est pas du tout une histoire de croyances privées mais bel et bien la structure même de la société, son idéologie sociale, cela n’aurait traversé l’esprit de personne. 

Alors, où est le problème? Et bien c’est la bonne santé de l’Eglise, justement. Cette dernière, sortant d’une longue période de réforme - les réformes grégoriennes - apparaît plus riche et puissante que jamais. Tout un tas de nouvelles règles, telles le célibat des prêtres, permettent de distinguer nettement le clergé du reste de la société, le marquant comme un corps autonome appuyant ses propres privilèges. Cela permet également de maintenir les possessions du clergé dans l'Église puisque sans couple, pas d’héritier, et sans héritier, l’Eglise ramasse tout l'héritage - je schématise mais il y a de ça. A cela s’ajoute le relâchement des moeurs du clergé, tels les cisterciens. Certes ils ne sont aujourd’hui qu’une poignée à produire du miel tranquillou dans le Sud, mais à l’époque, ils pesaient très lourd dans le moine-game, notamment grâce à leurs innombrables abbayes qui étaient autant d’exploitation agricoles richissimes - et parfois peu regardantes sur l’observation des règles monacales. 

Cette puissance et cette richesse soulèvent des contestations, surtout dans le Sud de la France. C’est le début des fameuses hérésies.

Là aussi, les clichés sont nombreux. Pour commencer, petite précision sur ce mot d’hérésie largement utilisé aujourd’hui mais qui peut donner une fausse idée de la réalité d’alors. Le mot est à vrai dire peu utilisé par les contemporains. Oubliez donc les moines hystériques qui hurlent “hérétiques!” à tout va. 

 En fait, le mot renvoie davantage à la configuration du christianisme de l’antiquité tardive, de la fin de l’Empire Romain en somme, où il existait un nombre impressionnant de différents christianismes et d’églises concurrentes. Au XIIIè siècle, il n’existe pas vraiment d’envie de créer une Eglise concurrente,  une anti-église. La contestation est moins dirigée vers le dogme catholique que vers le clergé lui même. Aussi anachronique qu’est le terme, il faudrait plutôt parler d’une forme d’anticléricalisme. 

Ensuite, laissez tomber la vision de pauvres bougres professant la liberté de penser ou pratiquant leur petits rites païens hippies dans leurs coins. Généralement, les fameux hérétiques sont plutôt des gens cherchant à revenir à un christianisme originel, à un idéal radical de pauvreté christique et à un clergé à la hiérarchie moins complexe et plus locale. 

Enfin, les différentes hérésies, qui essaiment un peu partout dans le Sud de la France (Vaudois autour de Lyon, Cathares dans le Sud-Ouest, Monteforte en Italie du Nord), ne s’organisent pas du tout autour d’une sorte de contre-clergé, parce que c’est justement à rebours de leurs idées. On parle plutôt d’une sorte de patchwork de sectes diverses, et c’est d’ailleurs à l’époque que le terme apparaît.

Je ne m'étendrais pas d’avantage sur le contenu idéologique et théorique de ces différentes hérésies. Dans cet article, nous allons de nombreuses fois mentionner celle qui fut à l’origine de la création de l’Inquisition, c’est à dire l’hérésie cathare, dans le Sud-Ouest français. Si vous vous voulez en savoir plus sur l'histoire du catharisme à proprement parler, je vous invite très vivement à vous tourner vers la vidéo de Nota Bene. Elle est vraiment très complète et figure parmi les meilleures de sa chaîne à mon goût. 


Une Église catholique qui monte en puissance, une bouillonnement d’hérésie un peu partout dans le Sud de la France, voilà qui commence à planter le décor. Mais il reste une question d’envergure avant de conclure cette première partie : pourquoi l’Inquisition est-elle créée à ce moment précis, en 1233? Après tout, les courants de pensées hérétiques n’ont rien de nouveau et sont aussi vieux que le christianisme - et l’Eglise les a toujours considérés avec méfiance, même si elle réagit généralement mollement et sans répression organisée. Qu’est-ce que ces hérétiques du Sud-Ouest (originellement autour d’Albi, d’où leur surnom d’albigeois), ont pu faire pour attirer à ce point l’attention du Pape?

En fait, cela fait déjà un moment que les sectes du Languedoc inquiètent sérieuement l’Eglise. Bernard de Clervaux, grand intellectuel chrétien de l’époque, pas forcément reconnu pour son progressisme, et qui avait voulu papoter avec ces Albigeois pour mieux les convaincre, prend une grosse volée par ses derniers. Il rentre particulièrement indigné et inonde le Pape de courriers alarmistes sur l’expansion de la “gangrène hérétique”.

Seulement, les seigneurs locaux, comme le comte de Toulouse, considèrent ces hérétiques avec mansuétude, si ce n’est bienveillance. Après tout, vouloir se débarrasser de l’influence grandissante du Pape n’est pas une idée qui les révolte, bien au contraire, et les sectes locales sont de toute façon trop bien enracinées. L’Eglise doit donc se contenter pendant quelques années d’appeler les pouvoir locaux à plus de fermeté. Jusqu’au jour où l’inaction des seigneurs languedociens finit par sérieusement gonfler le Pape. Il envoie à Toulouse un légat, représentant pontifical officiel, pour inciter le comte de Toulouse Raymond VI à intervenir pour contenir l’hérésie. Constatant la mauvaise volonté évidente des pouvoir locaux, et probablement peu averti du tempérament des toulousains, le légat décide d'excommunier Raymond VI. Sur le chemin de son retour à Rome, en 1208, le légat et toute son équipe sont massacrés par les hommes du comte.


Raymond VI a dû s’imaginer que l’histoire était bouclée. Elle venait juste de commencer. Bricoler sa petite hérésie dans son coin, c’est une chose. Assassiner un représentant officiel du Pape, c’en est une autre. Or, Innocent III, souverain pontife de l’époque, n’est vraiment pas du genre à se laisser marcher sur les pompes. Ce que Raymond VI vient de déclencher, c’est la Croisade contre les Albigeois. Et les Croisés, ils ne sont pas venus discuter théologie. 

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