Kingdom of Heaven, Sapologie, couleurs et Moyen-Age
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Sapologie, couleurs et Moyen-Âge

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publié le
7/2/2022
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min de lecture
Portrait de Romain

Romain Leduc

guide-conférencier, chasseur d'idées reçues

Partons du principe que vous êtes des gens de goût et que vous aurez visionné quelques dizaines de fois le Sacré Graal des Monthy Python, ou alors un franchement agréable Kindgom Heaven de Ridley Scott – director’s cut bien entendu, nous sommes entre gens sérieux. Les curieux auront regardé Black Death jusqu’à la fin pour voir si Sean Bean arriverait à faire mentir ses statistiques. Il se comptera peut être quelques masos pour s’être infligé Le Roi Arthur de 2004 pour constater avec amertume que Furqua a plus de talent à filmer Denzel Washington fumer des types que les chevalier de la tables ronde en faire de même.


Vous remarquerez que ces films semblent néanmoins tous avoir pioché dans leurs inspirations médiévales la même idée tenace : le Moyen-Âge, ce n’est définitivement pas l’ère de la belle sape. Sorti de quelques princesses et rois qui friment un peu, on tombe vite sur un paysan roulé dans un torchon affreux, un aubergiste qui recycle ses rideaux crasseux pour en faire une robe de chambre, des mendiants en haillons noirs de partout, du noir, du noir, du gris, des tâches et c’est tout. Le Moyen-Âge, c’est aussi terne que triste.

Jacquouille © 2020

Rien n’est plus faux pourtant. Souvenons-nous en premier lieu que le Moyen-Âge a duré pas moins de mille ans – de la chute de l’Empire Romain à l’arrivée de Colomb dans le Nouveau Monde. Il faut ensuite admettre que les données sont malheureusement rares pour ce qui a précédé le Moyen-Âge dit classique et qu’on sait bien peu de ce que portait un contemporain d’un Clovis ou d’un Clotaire. Ces quelques petits siècles mis de coté, nous voilà alors arrivés dans un XIème siècle où la couleur est absolument omniprésente et ce, jusqu’à la fin du Moye- Âge et la Guerre de Cent Ans. On peint les statues, on peint les murs, on peint les chevaux et les ânes, on peint ta daronne, on peint les églises bien entendu – Notre-Dame n’a jamais été blanche – et surtout, surtout, on porte de la couleur. Imaginez-vous débarquer dans le Paris du XIIIème siècle, lorsque l’ïle de la Cité est un immense chantier qui voit s’élever la Sainte-Chapelle et Notre-Dame, et vous seriez entourés de chapeaux aux couleurs vives et de robes chamarrées – que Disney a d’ailleurs plutôt bien su faire ressentir dans sa foule du Bossu de Notre-Dame. Dans ce monde médiéval, les vêtements de couleurs sont essentiels, car ils sont particulièrement signifiants. Je m’explique.

Au détour du XIème siècle – pour repère, la France tourne entre autres la page de l’agonie de l’empire de Charlemagne et des assauts vikings – la société médiévale qui émerge commence à former une structure extrêmement complexe, où se mêlent liens féodaux, clientélisme, ordres religieux et monastiques, corporations professionnelles, le tout dans un patchwork de langues et de cultures encore très éloigné de la France que l’on connaît. C’est d’ailleurs dans ce cadre que l’on voit émerger de nouveaux moyens d'identification, comme le nom de famille, inexistant après la disparition de l’Empire Romain. À la même époque apparaissent aussi les armoiries, improprement appelées blasons. Ces emblèmes, dont la fonction est de dire l’identité de qui les arbore, sont, contrairement à l’idée reçue, ouverts à tous, seigneur, évêques, bourgeois, corporations, familles paysannes. On pourrait les comparer dans une certaine mesure aux actuelles cartes de visite. Notons que les armoiries deviennent en partie nécessaires parce que l’équipement militaire commençait à trop dissimuler des visages, et que ne pas reconnaître le chevalier qu’on est en train de later, c’est manquer d’élégance. Alors, dans cette société riche, complexe et mouvante, les couleurs prennent une importance toute particulière. Elles servent à se reconnaître, à se distinguer, et bien entendu, à exclure.

En premier lieu, il faut comprendre que les teintures ne coûtent pas toutes le même prix, loin de là. La rareté des pigments disent beaucoup du rang de celui qui les portent. Le rouge est par exemple très apprécié. C’est d’ailleurs en rouge que la mariée du Moyen-Âge préfèrera se vêtir, déjà parce qu’obtenir un vêtement parfaitement blanc est une véritable galère pour les teinturiers. Également parce que le rouge est à la fois perçu comme élégant et néanmoins abordable par l’emploi de pigments moins chers – mais moins efficaces. A la fin du Moyen Âge, il est très luxueux de porter du rose, tiré de bois de Brésil, qu’on ne ramène pas du Brésil, étant donné que le Nouveau Monde n’a pas encore été découvert. On le ramène en fait d'Inde. C’est d’ailleurs cet arbre qui donnera son nom au Brésil, puisque les colons y découvriront une grande profusion de ce bois exotique qu’ils connaissaient déjà. Le noir quant à lui, lorsqu’il est tiré de la fourrure de la martre, est un prestige de noble. D’ailleurs, l’enrichissement des marchands, d’abord en Italie, puis en France, fait que des roturiers se trouvent en mesure de porter des couleurs plus belles encore que les nobles. Dans une société féodale, c’est inacceptable. Qu’à cela ne tienne : nombreuses sont les lois somptuaires qui interdisent à des marchands de porter des couleurs indignes de leur range. Ainsi, pas de rouge à Milan ou Venise si vous n’êtes pas juge ou doge. Le jaune tiré du safran, également extrêmement coûteux, n’est pas autorisé à qui n’a pas le sang bleu.

Si l’on empêche à certains de porter des couleurs, d’autres y sont forcés. Aux marges de la société vivent des êtres étranges : les forgerons, les médecins, les bourreaux, les prostituées, les musiciens, les juifs. Ils sont mystérieux, changeants, instables, flirtent avec les démons, mais ils sont aussi nécessaires à la société médiévale qu’ils l’inquiètent. Aussi est-il important de les marquer, et quoi de mieux que la couleur de leurs vêtements pour signifier aux yeux de tous leur différence. Toutefois, ces codes changent énormément selon les lieux et les époques. A Milan, les prostituées sont successivement tenues de porter une pièce de vêtement rouge, puis noir, puis blanc et noir.

 

Une foule médiévale est donc, vous l’aurez compris, fondamentalement multicolore. Un médiéviste avisé balancé dans une machine à remonter le temps jusqu’au Paris du XIIème siècle devrait en théorie pouvoir dire, d’un seul coup d’oeil, le métier, le rang ou même les croyances de n’importe quel clampin passant à portée de son regard aiguisé. En tout cas, en théorie. Parce que ce ce que je n’ai pas dit, c’est que l’étude et l'interprétation des couleurs sont une galère épouvantable pour un historien. Dans un premier temps, parce que les hommes du Moyen Âge, tout autant que nous, suivaient des modes. Mais aussi parce que le sens que les couleurs avaient pour ces hommes, et ce qu’ils pouvaient ressentir en les voyant, est très, très difficile à étudier - articles à venir à ce sujet !

J’en termine donc ici pour ce billet, et évidemment je ne saurais que vivement conseiller l’intégralité des livres de Michel Pastoureau, sommité de l’étude des symboles z’et des couleurs médiévaux. Si de tels sujets vous ont plu, je serais ravi de vous partager ses études de la symbolique animale. C’est passionnant. Et bien entendu, s’il n’en fait pas son sujet central, le vidéaste Histoire Appliquée réalise un formidable travail sur la reconstitution historique, notamment des vêtements. C’est hyper cool.